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La « feuille de route halieutique », longue de 112 pages, définit « la nouvelle politique mer et littoral pour ce qui concerne la pêche et l’aquaculture » de la région Bretagne. Elle a été approuvée par le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) le 5 février et sera soumise vendredi aux conseillers régionaux.
Il faut observer la coïncidence. D’une part, la Compagnie des Pêches de Saint-Malo, une société privée, investit plus de 15 millions d’euros pour installer une unité de production de surimi dans un gigantesque chalutier usine de 144 m. Le Annelies Ilena, capable de pêcher 400 tonnes de poisson en 24 heures, est si grand qu’il ne peut décharger sur les quais de la cité corsaire.
D’autre part, la région Bretagne s’apprête à approuver une série de « fiches-action » qui seront défendues par Daniel Cueff, le vice-président du conseil régional en charge de la mer. Celui-ci, joint par Splann !, assure que ce programme est « totalement dédié à la pêche artisanale et côtière, qui représente 75 % des bateaux de pêche en Bretagne ».
Or, le document que nous révélons (lire ci-dessous) ne mentionne jamais la petite pêche. La feuille de route met en revanche l’accent, à plusieurs reprises, sur les « segments hauturiers et semi-hauturiers ». C’est-à-dire, des navires passant plus de 24 heures en mer et dont la taille peut aller de 12 m à 25 m.
Pourtant, les bateaux plus modestes méritent l’attention des décideurs de la Région. Ils sont en effet plus vertueux, consomment beaucoup moins de carburant que les gros chalutiers, font travailler de nombreux marins et débarquent des produits de qualité et des espèces nobles, bien valorisées à la vente.
La feuille de route énonce le besoin de « renouvellement de la flotte de pêche (en particulier des segments hauturiers et « semi-hauturiers ») ». Mais les petits bateaux ont encore plus besoin de remplacement.
Une fiche de synthèse de la Direction interrégionale de la mer Nord Atlantique-Manche Ouest (Dirm Namo), indique que dans les Côtes-d’Armor, en 2022, sur les 285 bateaux de pêche professionnelle, 90 % sont armés en petite pêche, et 180 de ces bateaux ont plus de 30 ans (parmi eux, 31 ont même plus de 50 ans). La situation est comparable dans toute la Bretagne (10 % des bateaux du Finistère ont plus de 50 ans selon cette autre fiche de la Dirm Namo).
Faut-il soutenir le renouvellement des grands chalutiers, au détriment de la petite pêche ? « Ce soutien prioritaire de la Bretagne aux chalutiers hauturiers n’est pas nouveau, fait remarquer Ken Kawahara, secrétaire général de l’association des Ligneurs de la pointe Bretagne. On risque de reproduire les mêmes erreurs que dans les années 1980 et 1990, quand on a subventionné cette flottille. Et on va mettre des millions d’euros dans la décarbonation [la feuille de route de la Région promeut le développement des navires à propulsion hydrogène électrique], sans remettre en question le modèle énergivore de ce segment, pour n’obtenir que des économies marginales de carburant. Sans intégrer les problématiques écologiques ni celles de la ressource. Les métiers dits intensifs, comme la bolinche ou le chalut pélagique, ne devraient pas être autorisés – sauf captures accidentelles – à pêcher des espèces côtières, dont dépendent les pêcheurs artisans. »
Daniel Cueff assure que l’absence de mention faite à la petite pêche au cours des 112 pages est un simple « oubli » qui sera corrigé à l’oral vendredi.
De son côté, l’ONG Bloom, qui lutte contre la surpêche et les méthodes de pêche destructrices, suspecte l’intervention des lobbies de la pêche industrielle dans l’écriture du document et demande son retrait. Elle compte faire monter la pression en organisant une chaîne humaine, ce jeudi, à Saint-Malo, contre l’Annelies Ilena. La veille du débat sur la feuille de route halieutique bretonne dans l’hémicycle régional.